Dénonciation de harcèlement moral : sanction interdite

, par udfo30

Aux termes de l’article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés. Selon l’article L.1152-3 du code du travail, toute rupture de contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L.1152-1 et L.1152-2 du même code, toute disposition ou tout acte contraire est nul. Il s’en déduit que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.

Septembre 2013

Viole les articles L.1152-2 et L.1152-3 du code du travail la cour d’appel qui retient que le fait pour un salarié d’imputer à son employeur des irrégularités graves dont la réalité n’est pas établie et de reprocher des faits de harcèlement à un supérieur hiérarchique sans les prouver caractérise un abus dans l’exercice de la liberté d’expression et constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement, alors que le grief tiré de la relation d’agissements de harcèlement moral par le salarié, dont la mauvaise foi n’était pas alléguée, emportait à lui seul la nullité de plein droit du licenciement.

Le présent arrêt met en oeuvre pour le première fois l’immunité prévue par les articles L.1152-2 et L.1152-3 du code du travail, qui a pour objet de protéger les salariés qui ont témoigné des agissements de harcèlement moral ou les ont relatés. Ces textes s’inscrivent dans un mouvement législatif plus large, qui tend à protéger le droit d’expression des salariés, lorsque celui-ci est exercé aux dépens d’autres salariés ou de supérieurs hiérarchique, mais pour la défense d’un intérêt public (v., en ce sens, J. Savatier, note sous Soc., 30 octobre 2007, Bull. 2007, V, n° 178, Droit social 2008, p.125). C’est ainsi que le droit communautaire prévoit une protection contre les mesures de rétorsion que pourrait prendre l’employeur en réaction à une plainte ou une action en justice visant à faire respecter le principe d’égalité de traitement (Directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, article 7 ; Directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 juin 2000, article 9 ; Directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, article 11), et que le législateur français a prévu la protection du salarié révélant des mauvais traitement dans les établissements sanitaires (code de l’action sociale et des familles, article L.313-24 ; Soc., 30 octobre 2007, Bull. 2007, V, n° 178), des agissements de harcèlement sexuel (code du travail, article L.1153-2 et L.1153-3) ou des faits de corruption (code du travail, article L.1161-1). Cette immunité doit également être mise en relation avec les obligations qui pèsent sur l’employeur pour prévenir et traiter les agissements de harcèlement moral, et l’intérêt pour ce dernier d’être informé au plus tôt, la chambre sociale retenant en la matière une obligation de sécurité de résultat (Soc., 21 juin 2006, Bull. 2006, V, n° 223 ; C. Leborgne-Ingelaere, “La responsabilité civile de l’employeur en cas de harcèlement moral entre salariés”, JCP 2006, éd. soc., 1513 ; P Adam, “Harcèlement moral : pleins feux sur l’obligation patronale de prévention”, Droit ouvrier 2007, 1). L’immunité ainsi accordée au salarié constitue un élément important dans la lutte contre le harcèlement moral au travail, puisqu’elle facilite sa prise en compte dans les meilleurs délais, permet à l’employeur informé de vérifier si les faits portés à sa connaissance constituent ou non un harcèlement moral, ou, s’ils ne sont pas fondés, s’ils traduisent ou non un élément de souffrance du salarié tel que, par exemple, le stress (v. accord national interprofessionnel sur le stress au travail, ANI 2 juill. 2008 : JCP 2008, éd. soc., 1515).

En l’espèce, un salarié avait écrit à son employeur pour formuler un certain nombre de griefs (défaut de paiement de salaire, d’obtention d’une promotion, déclaration d’accident du travail en accident maladie) et se plaindre de faits de harcèlement moral imputés à un supérieur hiérarchique. A la suite de cette lettre, l’employeur a procédé à son licenciement pour faute grave. La cour d’appel a reconnu que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, car les faits dénoncés n’étaient pas établis. Si le moyen se fondait sur les principes de la liberté d’expression du salarié, la Cour de cassation a choisi, au travers d’un moyen relevé d’office, d’évoquer les conséquences d’un licenciement fondé partiellement sur la dénonciation de faits de harcèlement moral imputés à un supérieur hiérarchique. La question posée portait non seulement sur le principe de l’immunité, mais également sur sa portée, dans la mesure où le licenciement n’était pas uniquement fondé sur la dénonciation de faits de harcèlement moral et où l’employeur avait articulé d’autres griefs. La chambre sociale de la Cour de cassation avait déjà jugé, dans une espèce où un salarié avait été licencié, notamment au motif de la révélation de mauvais traitements dans un établissement sanitaire, que le licenciement était nul, sans qu’il y ait lieu à examiner les autres griefs invoqués (Soc., 26 septembre 2007, Bull. 2007, V, n° 136). La chambre sociale applique le même principe pour l’article L. 152-3 du code du travail. Le salarié ne pouvait pas être licencié au motif qu’il avait relaté des faits de harcèlement moral, et ce grief emportait à lui seul la nullité du licenciement, même si ce dernier était également fondé sur d’autres reproches. La nullité affecte le licenciement dans son ensemble.

Cette immunité n’est toutefois accordée qu’aux salariés de bonne foi, laquelle est présumée. En conséquence, la mauvaise foi du salarié ne peut pas résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis. La solution ainsi retenue par la chambre sociale de la Cour de cassation est conforme à celle adoptée expressément par le législateur en matière de dénonciation de faits de corruption (code du travail, article L.1161-1) et par l’article 3 de la loi n° 2008-496, portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, où l’immunité est réservée au salarié de bonne foi.

Soc. - 10 mars 2009. CASSATION

N° 07-44.092. - CA Dijon, 28 septembre 2006.

Source : Cour de cassation