Les suicides en hausse chez les fonctionnaires (Le Parisien)

, par udfo30

06/05/2011 Le Parisien

Les suicides en hausse chez les fonctionnaires

Après la mort d’un inspecteur du travail mercredi, les syndicats mettent en cause le rythme effréné des réformes et les suppressions de postes dans la fonction publique.

La tristesse et la colère. Au lendemain du suicide de l’inspecteur du travail Luc Beal-Rainaldy (voir nos éditions d’hier), les agents du ministère du Travail étaient sous le choc. Une déclaration « d’accident de service » a été déposée. Cette formalité permettra à la famille — si elle le décide — de tenter de faire reconnaître ce geste comme ayant un lien avec l’activité professionnelle « Une enquête de police a été lancée et un comité d’hygiène et de sécurité sera convoqué », précise-t-on au ministère.

33 suicides parmi les policiers en 2009

Pas de quoi calmer les syndicats. Vent debout, ils soulignent que cette affaire est loin d’être un cas isolé au sein de la fonction publique. De plus en plus médiatisés dans les entreprises privées — en particulier depuis France Télécom — les suicides au travail restent un sujet tabou au sein de l’administration, où il est très difficile de faire reconnaître le caractère professionnel d’un tel acte (voir encadre). Pourtant, depuis quelques années, leur nombre ne cesse de progresser, de 5 % à 6 %, selon FO. « Le rythme effréné des réformes, qui broient les services de l’État et leurs agents et détruisent les valeurs du service public » est pointé par la FSU, le syndicat auquel appartenait Luc Beal-Rainaldy. Dans les faits, selon la CGT du ministère du Travail 11 tentatives de suicide sont à déplorer depuis 2010 parmi les 11 000 agents du ministère.

Particulièrement exposés, les policiers sont ceux qui figurent en première ligne : 33 suicides durant les dix premiers mois de 2009 et 49 en 2008. Triste bilan également à Bercy, où 25 agents (sur 160 000) se sont donné la mort en 2009. « Les réorganisations liées à la RGPP (NDLR la révision générale des politiques publiques), les suppressions de postes — depuis 2003 nous avons perdu 15 % de nos effectifs — ainsi que la gestion par le chiffre fait exploser le mal-être des fonctionnaires », constate Vincent Drezet, du Syndicat unifié des impôts (Snui). Même constat au ministère de l’Ecologie (anciennement Équipement), en proie à des réorganisations — d’ici à 2013, 10 000 postes sur un total de 67 000 doivent être supprimés ou redéployés — où 19 suicides ont été répertoriés en 2010 « On a recensé 3 suicides depuis le début de l’année », assure ce syndicaliste. Pôle emploi n’y échappe pas 4 tentatives et 1 suicide en 2009 sur 45 000 agents. La prise de conscience est lente. Un accord sur la santé au travail a bien été signé en 2009 dans toute la fonction publique. L’État promet des « actions ciblées » prochainement.
Catherine GASTE et Valérie HACOT

Un sujet tabou dans la fonction publique

Le suicide au travail, sujet toujours tabou dans la fonction publique ? C’est ce qu’affirment les syndicats de fonctionnaires pointant l’insuffisance de l’accord sur la sante au travail, conclu en 2009, axé sur l’évaluation et la prévention des risques psychosociaux. Phénomène reconnu aujourd’hui dans le privé où la responsabilité de l’employeur est automatiquement visée (il est présumé responsable) en cas de suicide sur le lieu de travail, concernant les fonctionnaires, les démarches à effectuer relèvent toujours du chemin croix.
Concrètement, la famille de l’agent peut faire une demande de reconnaissance de ce geste tragique comme « accident de service » (équivalent de l’accident du travail dans le privé), si elle estime qu’il est lié à son travail. La décision revient en dernier ressort à l’employeur. « Mais du fait de la nécessité de la charge de la preuve, il est très rare qu’un suicide soit reconnu comme accident de service » reconnaît le ministère de la Fonction publique. La famille doit en effet faire la preuve que le suicide est imputable au fonctionnement du service. Des éléments juridiques souvent difficiles à établir.
En réalité, très peu de demandes sont formulées. En moyenne, une vingtaine par an tous ministères confondus. Et en l’absence de toute centralisation des informations, les statistiques officielles sur ces reconnaissances de suicides en accident du travail n’existent même pas dans le bilan annuel de la fonction publique. Selon le ministère, seuls quatre suicides ont été reconnus comme accidents de service entre 1996 et 2008

|600 salariés de France Télécom rendent hommage à leur collègue| |BORDEAUX (GIRONDE), HIER. Près de 600 salariés de France Télécom ont participé hier à Bordeaux à une marche silencieuse en hommage à leur collègue Rémy L, qui s’est immolé il y a dix jours à Mérignac. _ Elle s’est achevée par une minute de silence devant l’agence où ce cadre de 57 ans travaillait. Trois amis de Rémy ont ensuite pris la parole. « C’était un homme éminemment humain. Il a été brisé par le mouvement qui a divisé, charcuté, cassé les services », a témoigné Philippe « Il y a le temps du Fouquet’s, celui du CAC 40, il y aura le temps de la révolte. Un jour la justice viendra et j’espère qu’elle viendra vite », a-t-il conclu. « Chaque matin, il saluait ses collègues un par un, en leur serrant la main. Ils lui répondaient à peine, sans quitter leur écran des yeux, productivité oblige. C’était juste quelqu’un de bien, j’espère que l’on va s’en souvenir très longtemps », a témoigné une collègue.
Des obsèques célébrées dans l’intimité Joël a lui écrit une lettre comme il pense que Rémy aurait pu la rédiger : « Mon acte est un acte solennel commis dans une folie meurtrière de destruction, mais aussi de construction de l’humanité. Pour que plus jamais cela ne soit, je vous demande à tous non seulement l’arrêt, mais le retour en arrière de France Télécom. Retour vers un service public, au service de tous, de qualité où chacun a la reconnaissance de son métier qu’il assume au mieux de ses possibilités. » Les obsèques de Rémy ont été célébrées mercredi, dans l’intimité demandée par sa famille.
PIERRE SAUVEY