Le harcèlement moral au cœur de l’actualité : des méthodes de gestion
mises en
œuvre par un supérieur hiérarchique peuvent désormais caractériser un
harcèlement
moral.
Dans un contexte où le stress au travail occupe une place primordiale au
coeur des débats,
principalement suite aux suicides chez France Telecom, la Cour de
cassation a décidé de se
prononcer, une fois de plus, sur le harcèlement moral. Désormais, des«
méthodes de gestion mises
en oeuvre par un supérieur hiérarchique… peuvent caractériser un
harcèlement moral » (cass. soc. 10
novembre 2009, n° 07-45231).
Depuis un arrêt du 24 septembre 2008 (n°06-46517, n°06-45747, n°
06-45794, n°06-45579 et n°06-
43504), la Cour de cassation a repris le contrôle de la qualification du
harcèlement (moral et sexuel).
En mettant ainsi fin aux divergences d’interprétation entre les
différentes cours d’appel, elle nous
donne une définition plus précise de la notion de harcèlement.
Normalement juge de droit, elle se fait
désormais juge du fait, plus exactement des faits caractérisant le
harcèlement moral ou sexuel.
Dans un arrêt du 11 octobre 2007, la Cour d’appel de Paris avait déjà jugé que le comportement managérial d’un employeur pouvait constituer un harcèlement moral collectif et individuel. C’est dans
cette lignée que la Cour va rendre son arrêt du 10 novembre 2009.
Rappelons qu’au regard de l’article L 1152-1 du code du travail, « aucun
salarié ne doit subir les
agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour
effet une dégradation de ses
conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à
sa dignité, d’altérer sa santé
physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
En l’espèce, un salarié se fait licencier pour inaptitude suite à deux
arrêts maladie successifs. Ses
arrêts étaient liés à un état dépressif dû à l’arrivée d’un nouveau
directeur dans son établissement.
Celui-ci utilisait des méthodes de gestion et d’organisation du travail
assez particulières (il ne
communiquait avec le salarié que par tableaux, ne prenait pas le temps
de lui donner les instructions
nécessaires pour son travail…) et son comportement envers le salarié
était désagréable et différent du
comportement qu’il avait avec les autres collègues (mise à l’écart,
mépris, absence de dialogue…).
C’est pourquoi le médecin du travail l’a déclaré « inapte médicalement
et définitivement à tous
postes » dans son établissement mais « apte à un poste sans contact avec
le directeur actuel ». Le
salarié est pourtant licencié et introduit une action en justice au
motif que son licenciement, lié au
harcèlement moral exercé par son directeur, est sans cause réelle et
sérieuse. En effet, un
licenciement prononcé suite à une inaptitude dûe à un harcèlement moral
est nul (cass. soc. n°24 juin
2009, n°07-43994). La Cour le rappelle dans l’arrêt : en aucun cas, le
licenciement sera prononcé sans
cause réelle et sérieuse. Un licenciement nul est un licenciement
prononcé en violation d’une
disposition légale ou d’une liberté fondamentale.
La différence est
importante car la nullité du
licenciement donne au salarié le droit d’être réintégré et d’obtenir la
réparation du préjudice subi au
cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration.
La Cour d’Appel donne raison
au salarié et reconnait le harcèlement moral.
Rappelons que la preuve du harcèlement (moral ou sexuel) se fait en trois temps :
1) Le salarié doit établir la matérialité des faits permettant de faire présumer l’existence du harcèlement.
2) Les juges du fond doivent appréhender ces faits dans leur ensemble pour rechercher si le harcèlement est présumé ou pas.
3) Si tel est le cas, la partie adverse va devoir prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement car ils sont justifiés par des éléments objectifs.
Dans notre affaire, l’employeur conteste l’argumentaire du salarié car, pour lui, il ne s’agit que de simples méthodes de gestion du personnel et de management, non d’un harcèlement moral. La Cour de cassation rejette cet argumentaire. Pour elle : « peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; Et attendu que la Cour d’Appel a relevé que le directeur de l’établissement soumettait les salariés à une pression continuelle, des reproches incessants, des ordres et des contre-ordres dans l’intention de diviser l’équipe se traduisant, en ce qui concerne M.X., par sa mise à l’écart, un mépris affiché à son égard, une absence de dialogue caractérisée par une communication par l’intermédiaire d’un tableau, et ayant entraîné un état très dépressif ; qu’ayant constaté que ces agissements répétés portaient atteinte aux droits et à la dignité du salarié et altéraient sa santé, elle a ainsi caractérisé un harcèlement moral, quand bien même l’employeur aurait pu prendre des dispositions en vue de le faire cesser ».
Ce qu’il faut retenir de l’arrêt :
1) Pour la première fois, on admet que des méthodes de gestion peuvent caractériser un harcèlement moral. Il existe différentes formes de harcèlement : le harcèlement institutionnel, le harcèlement pervers… On se place ici sur le terrain du harcèlement dit professionnel ou stratégique, comme en cas de réorganisation, restructuration…
2) Même si l’on reste en majeure partie sur le terrain individuel (la méthode doit s’adresser à un salarié déterminé et non une collectivité), la Cour admet qu’une équipe entière puisse dénoncer les méthodes de management d’un directeur. Cependant, à la différence de la Cour d’Appel de Paris, la Cour de cassation ne reconnaît pas le harcèlement moral envers un collectif …
3) L’employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat envers ses salariés. Cette obligation inclut inévitablement la prévention contre le harcèlement moral. C’est pourquoi, un employeur ne peut s’exonérer de son obligation même s’il n’est pas l’auteur des faits fautifs.
Dans le même sens, l’arrêt précise que, même si l’employeur a pris des dispositions en vue de faire cesser la situation, si le harcèlement moral est caractérisé, le salarié aura droit à la réparation de son préjudice.
Cour de cassation chambre sociale Audience publique du mardi 10 novembre 2009 N° de pourvoi : 07-45321 Publié au bulletin Rejet Mme Collomp (président), président SCP Gatineau et Fattaccini, avocat(s)
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